Salaires: Leroy Merlin rattrapé par des tensions sociales
C’est historique, Leroy Merlin va enregistrer les meilleures performances de son histoire. Jamais les Français n’ont autant bricolé que ces derniers mois. Les confinements successifs ont porté comme jamais les activités de bricolage et de jardinage. D’ailleurs, les Français apprécient cette enseigne car elle s’est distinguée en tête du classement 2021 d’Eight Advisory/JDD des entreprises les plus admirées. Si bien que Leroy Merlin, leader en France dans son secteur s’en sort, cette année avec des performances record. Ce distributeur propriété de la famille Mulliez devrait enregistrer un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de 9 milliards et récolter pas moins de 800 millions d’euros de bénéfices. Voilà qui devrait réjouir les salariés de ce groupe d’autant que Leroy Merlin dispose depuis des années d’un solide programme de participation et d’intéressement.
Pourtant rarement le dialogue social n’a été si compliqué que ces dernières semaines. Alors que l’inflation bat des records en France, les organisations syndicales ont été invitées à participer, comme chaque année aux négociations annuelles obligatoires. « Nous espérions un geste fort de la direction qui vienne récompenser les deux années exceptionnelles de l’entreprise et réponde au sujet de l’inflation à 2,6% sur le dernier mois, aujourd’hui nous sommes déçus et en colère », souligne un représentant syndical. La direction propose
Bonus des dirigeants
Aucune des cinq organisations syndicales emmenées par le leader CFTC (42%) n’a signé ce protocole d’accord pourtant pas totalement inconséquent. Alors qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres? Pourquoi les syndicats s’apprêtent-ils à mener des opérations coups de poing de blocage de sites stratégiques ce qui serait inédit dans ce groupe de la galaxie Mulliez où la culture sociale a longtemps été une valeur forte? « Les NAO [négociations; ndlr] c’est la goutte d’eau car avec 2% on est encore nettement en dessous d’une inflation à 2,6% et les salariés vont donc perdre de l’argent, mais ce qui nous révolte, c’est la découverte des montants des rémunérations, bonus et avantages sociaux touchés par une poignée de cadres de l’entreprise », souligne une source. Et celle-ci de détailler pour Challenges l’ensemble du système de rémunération et avantages des cadres dirigeants sur l’année 2019, dernier relevé en sa possession. Cette année, avant Covid, alors que les performances de l’entreprise n’étaient pas aussi bonnes qu’aujourd’hui 707 cadres se sont partagé 10 millions d’euros de salaires bruts. Il faut y rajouter une enveloppe de 18 millions de stock options qu’ont pu toucher 144 personnes. Et sur ce panel réduit de cadres, huit d’entre eux ont bénéficié en sus d’un programme de 2,36 millions d’actions gratuites. « Nous ne commenterons pas le montant de ces chiffres, mais sachez que dans un magasin l’écart maximum de salaire entre les 10% des plus basses rémunérations et les 10% plus hautes est dans un rapport de seulement 1 à 3, ce qui est très faible par rapport aux entreprises de même taille », insiste Sébastien Jenvrin.
Au final, de sources syndicales, entre 2019 et 2020, les dix plus gros salaires de Leroy Merlin ont vu leurs traitements augmenter de 11% quand les salariés ont touché une augmentation de 1%. Un montant que la direction refuse de commenter. « C’est cet écart énorme qui nous choque: il est normal d’attirer des talents avec des salaires à la hauteur de leur compétence mais il n’est pas normal, pour une société qui brandit des valeurs héritées du christianisme social, qu’une petite poignée de salariés s’accapare les fruits d’une croissance, résultat du travail de toute une communauté », s’indigne un représentant syndical.
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Caissière à 1.685 euros bruts
La rémunération moyenne d’un directeur de magasin s’établit entre 6.000 à 6.500 euros bruts mensuels. Il faut ajouter environ 2 mois de salaires de revenu variable individuel, plus la participation et l’intéressement. Mais ce cadre dirigeant ne compte pas ses heures et dirige une entité de plusieurs centaines de salariés. Mais c’est le bas de la grille des salaires qui, selon les syndicats, pose un problème « surtout en période de forte inflation ». Une hôtesse de caisse démarre à 1.645 euros bruts (+ 40 euros avec la prime inflation), hors participation et intéressement. Un salaire d’environ 15% au-dessus du smic qui s’établit au 1er octobre à 1.589,47 euros. « Difficile de vivre avec ce salaire, surtout en Ile-de-France », insiste un syndicat. Mais c’est surtout la progression qui est très lente dans la grille d’évolution. Au bout d’une dizaine d’année, la même caissière est à 1.950 euros bruts (hors participation et intéressement). « Ce montant est un minimum et ne prend donc pas en compte les augmentations individuelles qui permettent à une hôtesse de caisse d’être très souvent au-dessus du barème de la grille », défend Sébastien Jenvrin. « Ce qui nous choque c’est de voir à quel point en quelques années, cette entreprise et sa holding Adeo est devenue une multinationale comme les autres », souligne un représentant syndical. « Une entreprise qui est capable de payer ses salariés certaines années sur 16 à 18 mois grâce à l’accord sur la participation et l’intéressement », nuance le DRH.
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