“ La croissance économique conditionnera les ambitions du pays”
Pour le sinologue Tony Saich, certains développements pourraient entraîner quelques aménagements mineurs lors du 20e congrès du Parti communiste chinois (PCC). Sans pour autant affaiblir Xi Jinping.
Challenges. Il y a un peu plus d’un siècle était fondé le PCC. Comment ses créateurs jugeraient-ils l’action de Xi Jinping aujourd’hui?
Tony Saich – Ils seraient sans doute à la fois admiratifs et surpris par Xi Jinping. Il projette la Chine vers le statut qu’ils caressaient de leurs vœux: une nation forte et relativement riche. Grâce à lui, le pays semble s’être dressé face aux étrangers, même s’ils sont toujours en Chine. Mais le plus surprenant à leurs yeux serait de constater que Xi n’a pas éliminé les classes capitalistes, bien que le Parti contrôle très largement l’économie et la société.
Comment jugez-vous l’actuel durcissement autour de la politique zéro-Covid?
La stratégie zéro-Covid est très liée à Xi: centralisateur, il ne laisse aucun espace aux responsables locaux pour opérer différemment. A l’approche du congrès, il y a cependant des facteurs qui pourraient entraver sa marche impériale: le pari du maintien de la croissance – Xi Jinping l’a fixée à 5,5% en 2022 et le Parti se doit d’aller dans ce sens -; le contrôle des institutions de crédit; la relance vers la consommation intérieure qui ne semble pas décoller; la gestion de la pandémie; les relations avec les Occidentaux et la Russie dans le contexte ukrainien.
Pensez-vous que les complexités actuelles puissent mener à des développements inattendus à l’approche du congrès?
Qui, sinon Xi? Il est possible qu’il procède à quelques changements mineurs comme la création d’un poste de président du Parti, pour lui-même, tout en confiant le secrétariat général à un proche, mais il gardera le contrôle. La plus grande question concerne la poursuite de la croissance économique. Ce que la Chine a réalisé en termes de développement économique et même social est quasi miraculeux. Mais la crise liée au Covid pourrait laisser des traces. La Chine est-elle un géant aux pieds d’argile en raison de problèmes structurels? Si les difficultés sont de cet ordre, le régime va avoir des décisions importantes à prendre. Et les projets du pays à l’international seront revus à la baisse. C’est un vrai sujet qui conditionne l’avenir du pays et ses ambitions. Par ailleurs, si les pronostics concernant l’économie se révélaient moins optimistes, quel impact sur la « menace chinoise » présentée par certains stratèges américains? Faudra-t-il réexaminer la rivalité sino-américaine?
L’été dernier, Xi Jinping s’en est pris aux entrepreneurs, leur demandant de contribuer davantage à la « prospérité commune ». N’est-ce pas là une entrave à ses objectifs de développement de la Chine?
Le secteur privé continue à prospérer mais certaines entreprises sont devenues géantes donc trop puissantes. Xi cherche à les contraindre à s’aligner sur les priorités du PCC. Avec une logique: vous devez tout au Parti. Si Alibaba ou Baidu sont devenus des géants, c’est parce que le PCC leur a permis de se développer de manière quasi monopolistique. Ils lui sont donc redevables, et le savent.
Où en est la relation sino-russe?
La Chine et la Russie se voient comme les pionniers d’une redéfinition de l’ordre international. Il semble clair que la Chine constitue l’élément dominant de cette relation – ce qui ne manque pas d’ironie si l’on pense à l’histoire du PCC et à l’impact de l’Union soviétique sur la Chine à l’origine. Ce n’est évidemment plus le cas. Le communiqué sino-russe du 4 février en est la meilleure preuve: probablement rédigé par la Chine, le texte contenait tous les points importants selon Pékin.
L’image « combattante » de Xi Jinping est-elle destinée à perdurer?
En 2012, quand il a pris le pouvoir, la situation politique chinoise était très confuse. La réponse de Xi a été un retour au politique. Il a lancé une immense campagne anticorruption et a obtenu un soutien populaire. Après le 19e congrès, en 2017, les choses ont changé. Xi est devenu plus confiant et a pu commencer à promouvoir l’Etat-parti et la notion de « prospérité commune ». Il fait depuis appel au nationalisme et veut rendre le Parti légitime aux yeux des Chinois. En 1949, Mao parlait d’une rupture du passé, mais maintenant on veut mettre en avant le Parti comme ciment de la société. Quoi de mieux qu’une figure impériale au sommet d’un tel processus?
From Rebel to Ruler, One Hundred Years of the Chinese Communist Party, Tony Saich, Harvard University Press, 560 pages, 36 euros.
(photos: SP)
Propos recueillis par Philippe Le Corre
Lire la suite
www.challenges.fr