La BCE augmente massivement ses taux : les Français en première ligne
C’est la fin de l’argent magique. Après 11 ans de baisse continue du taux principal de refinancement (Refi) – le plus important des taux directeurs de la Banque centrale européenne – qui était de 0% à partir de 2016 pour doper la croissance – l’institution basée à Francfort a décidé ce jeudi 11 juillet de le remonter à 0,50%. Une poussée – attendue – mais spectaculaire qui doit répondre à un objectif : combattre par tous les moyens la flambée de l’inflation (8,1% en mai sur un an) qui frappe la zone euro.
We raised interest rates by 0.5%.
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— European Central Bank (@ecb) July 21, 2022
Les taux directeurs influencent tous les autres taux auxquels les particuliers, les investisseurs et les Etats empruntent. Véritables accélérateurs et freins de l’économie, il s’agit des plus puissants outils que possède la BCE. C’est pour freiner la demande et ainsi ralentir la hausse des prix, que Christine Lagarde, la présidente de l’institution de Francfort, a finalement actionné ce levier. Un choix qui n’est pas pris à la légère et qui aura des conséquences concrètes sur la vie des Français.
Des crédits immobiliers qui vont devenir plus chers
Le taux du Refi fixe le coût auquel les banques commerciales vont emprunter de l’argent à la banque centrale (obligatoire pour certaines de leurs activités). Puisque ce taux remonte, il va pousser les banques à augmenter leurs tarifs et notamment, les taux de crédits immobiliers. “La hausse du Refi va se répercuter très rapidement, dans les prochains jours ou semaines, sur les crédits immobiliers”, anticipe Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste et maîtresse de conférences à l’Université Paris 1.
Si les taux de crédits immobiliers ont récemment fortement augmenté après des années généreuses à moins de 1%, la décision de la gardienne de l’euro devrait accentuer le phénomène. L’économiste prévient : “on peut s’attendre à des répercussions importantes sur le marché immobilier avec une baisse des prix des logements voire un éclatement de la bulle immobilière”.
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Un point de vue qui n’est pas partagé par Patrick Artus, membre du cercle des économistes, conseiller économique de Natixis (et conseiller de Challenges). L’expert pense aussi que “les taux immobiliers vont monter ». Mais, pour sa part, il estime que la hausse sera faible et lissée dans le temps et permettra toujours des prêts abordables. Pour Patrick Artus, le coût des crédits immobiliers dépendra surtout de l’évolution des perspectives économiques.
Les taux directeurs ne sont en effet pas la seule variable de l’évolution du coût des crédits longs octroyés par les banques commerciales. Les taux d’emprunts immobiliers incluent, en plus du Refi, une prime de risque qui évolue en fonction de l’inflation et des risques de défaut de l’emprunteur.
Un risque de faillites des petites et moyennes entreprises
S’ils divergent sur l’impact de la hausse des taux sur les crédits immobiliers, les deux économistes s’accordent sur le fait que ce sont les petites et moyennes entreprises qui souffriront le plus de la fin de l’argent magique. “80% des petites et moyennes entreprises se financent avec des crédits bancaires”, explique Patrick Artus. Ces entreprises vont avoir plus de mal à se financer puisqu’elles devraient subir la hausse des taux d’emprunt. “On va revenir à un nombre de 50 000 faillites par an, ce qui était le chiffre d’avant-Covid alors que cette année nous sommes entre 20 000 et 30 000 faillites [grâce aux mesures de soutien du gouvernement, NDLR]”, anticipe l’économiste. Des faillites qui menaceraient les emplois de nombreux Français puisque les TPE-PME et autres ETI emploient près de 10 millions de personnes d’après l’Insee.
Christine Lagarde, et par ricochet, Emmanuel Macron, se retrouvent donc face à un véritable mur de faillites potentielles, renforcé notamment par les obligations de remboursement des Prêts garantis par l’Etat (PGE). L’institut Rexecode estime que 9% des entreprises qui ont contracté ces lignes de financement pour soutenir leur activité lors du Covid craignent de ne pas pouvoir les rembourser. “Les entreprises qui verront leurs PGE arriver à échéance auront, ensuite, plus de mal à se rendetter pour rembourser leur premier crédit. On pourrait ainsi faire face à de nombreuses faillites”, s’inquiète Jézabel Couppey-Soubeyran. L’économiste de Natixis se veut au contraire rassurant. “L’Etat pourra décider de convertir les dettes impayées en actions avec le mécanisme de créance convertible en capital”, rétorque Patrick Artus. Ce qui aurait un coût pour les finances publiques françaises.
Les grandes entreprises devraient en revanche moins souffrir de la hausse des taux directeurs “car elles ont une meilleure capacité d’autofinancement et des solutions alternatives de financement sur les marchés obligataires [qui subissent moins directement la remontée des taux directeurs, NDLR]”, conclut Jézabel Couppey-Soubeyran. Avec autant de répercussions négatives potentielles sur l’économie, espérons que la remontée des taux réussira à éteindre le feu inflationniste. L’économiste de l’Université Paris I n’y croit pas, redoutant un risque de stagflation. Là encore, les deux économistes ne sont pas d’accord sur le résultat.
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